Les Bleus éliminés, mais quel kiff!
23h38, Arena Nationala de Bucarest. Kylian M’bappé s’avance pour tirer le dernier tir au but d’une série ponctuant une soirée aussi irrationnelle qu’inattendue. Le stade de Bucarest est comme en pause, le temps d’un instant. D’un côté les Français, qui espèrent voir le ballon au fond des filets pour continuer à rêver dans cet Euro. De l’autre, les Suisses, qui prient pour un arrêt de leur portier Yann Sommer qui briserait le plafond de verre des 1/8 de finale qu’ils n’ont jamais réussi à briser en compétition internationale depuis le début du siècle. Dans les bars, les fans zones, les salons, bref devant tous les écrans de télé suisses et français, la pression est à son paroxysme.
La France prend l'eau pendant 55 minutes...
Il faut dire qu’elle est montée crescendo depuis un petit moment. Côté suisse, lorsque le tirage au sort lui a désigné la France comme son adversaire en 1/8 de finale, on n’était pas forcément hyper rassuré. Affronter son voisin, favori de la compétition, Champion du Monde en titre, qu’on n’a pas battu depuis 30 ans, on a connu tirage plus clément. Mais après tout, les arguments sont là et la France n’est peut-être pas aussi impériale qu’elle n’y paraît. Et puis quitte à briser le plafond de verre, autant que ce soit en beauté !
Côté français, depuis le dernier match des Bleus face au Portugal, les avis sur leurs prestations sont partagés. Des blessures, un collectif qui s’est étiolé au cours des deux derniers matchs laissent planer quelques doutes sur la suite de la compétition. Toutefois, la confiance, sublimée par une pointe d’arrogance typiquement française, est bien là. Perdre en 1/8 de finale ? Certainement pas. Contre la Suisse ? Encore moins. A dire vrai, peu de gens affirment que la France est en danger face à la Nati, tant les individualités qui composent cette équipe semblent un cran au-dessus de leurs adversaires du soir.
Et les premières minutes du match semblent nous conforter dans cette confiance. 5 premières minutes réussies, assez rythmées, les Bleus sont dedans. Mais petit à petit, les doutes ressurgissent et lorsque Seferovic ouvre le score à la 15ème minute, tout se complique. Surtout au vu de la demi-heure qui suit. Perdus tactiquement, on ne reconnaît pas nos Bleus sauce Deschamps. A la mi-temps, on se dit qu’on s’en sort bien et que ce score de 0-1 est presque flatteur. Il reste une mi-temps pour tout faire basculer et on sait qu’on l’a déjà fait. Lors de l’Euro 2016 face à l’Irlande où, déjà menée 1-0 en 1/8 de finale, la bande à Grizou, alors au sommet de son art, avait renversé la vapeur pour se qualifier et filer vers la finale. En 2018 aussi, face à l’Argentine de Messi où le quasi inconnu Benjamin Pavard était venu catapulter le ballon dans la lucarne de l’Albiceleste pour sortir ses coéquipiers d’une situation bien mal engagée.
Sauf que cette fois-ci, rien ne semble pareil. Au retour des vestiaires, malgré un repositionnement tactique bienvenu, on bute. Et on commence à se ronger les ongles. Le spectre de la défaite commence à surgir progressivement. Et on se demande. Cette équipe qu’on aimait tellement serait-elle finalement colosse aux pieds d’argile ? Et puis vint la 55ème minute, où le match va basculer dans l’irrationnel. Suite à un débordement de Zuber, Benjamin Pavard commet l’irréparable. Un tacle mal maîtrisée à l’orée de la surface de réparation. Et après quelques secondes de flottement dues à la VAR, le couperet tombe. Penalty pour la Suisse.
Du côté helvète, on jubile. On sent que l’exploit est proche. Vu ce que montre les Bleus depuis le début du match, ce penalty est une occasion inespérée de mettre KO son voisin. D’autant que cela fait 9 ans que le gardien français Hugo Lloris n’a pas arrêté le moindre penalty.
... avant l'incendie provoquée par l'étincelle Lloris
Mais le foot n’est pas une science exacte. Et le capitaine des Bleus, toujours là pour sortir les siens d’un mauvais pas se détend parfaitement sur sa droite pour stopper un penalty pourtant pas mal tiré par Rodriguez. Toujours vivants, toujours debout. Et la banane ne va pas tarder à réapparaître sur les visages français. Coup sur coup, Karim Benzema, l’ex-banni des Bleus signe un doublé ponctuant une séquence française de folie. L’étincelle Lloris a embrasé ses coéquipiers qui ont fait vivre à leurs supporters un ascenseur émotionnel comme seul le sport peut en faire vivre. En 5 minutes, on est passé du bord du gouffre, de la résignation, à l’espoir, à l’excitation et à la joie.
C’est même le soulagement qui prédomine un quart d’heure plus tard lorsque Pogba nettoie la lucarne de Sommer d’une frappe magistrale des 25 mètres qui semble alors clore les débats. La France a souffert, comme souvent. Mais la France va gagner, comme toujours. On sent les Suisses assommés par ces coups du sort successifs. Passer si proche de l’exploit pour finalement échouer, Rodriguez, le tireur du penalty qui a tout fait basculer va longtemps repenser à ce moment.
Oui mais non. Parce qu’en sport, rien n’est écrit d’avance, l’impensable se produit. La réduction de l’écart suisse d’abord, à la 81ème minute, a plus des allures de baroud d’honneur que de véritable retournement de situation. Mais les Suisses se mettent à y croire. 4 minutes plus tard, un but refusé pour un hors-jeu très limite fait frissonner le stade entier. La peur a changé de camp, l’espoir aussi. Et dans un scénario Hitchcockien, la Nati va égaliser dans le temps additionnel, envoyant les deux équipes en prolongation.
Au bout de leur condition physique, les joueurs vont lutter au cours de ces 30 minutes supplémentaires mais les rares occasions vont être stoppées par les gardiens qui vont alors devoir faire basculer le destin de ce match complètement fou lors de la redoutée séance de tirs aux buts. La grande loterie du football, les tirs aux buts. Aucune logique n’a jamais pu être dégagée de ces séances aux allures de corrida où les gardiens peuvent tour à tour planter des banderilles dans les attaquants adversaires.
Au bout du suspense, la Nati l'emporte
La Nati débute cette séance et marque. La France répond. Puis la Suisse marque. Puis rebelote. 2-2. A chaque fois qu’un joueur s’avance, les supporters des deux équipes s’échangent les émotions. La peur de rater d’un côté, l’espoir d’un raté de l’autre. Puis, après chaque but, le soulagement qui s’oppose à la frustration. 3-3. 4-4. Décidément, les équipes ne se quittent pas. 5-4 pour la Suisse. Il ne reste qu’un tireur côté Français. Kylian M’bappé. La pépite française, 22 ans, qui n’était pas née lors de la dernière victoire française lors d’une séance de tirs aux buts. Il en a empilé des buts, notamment sur penalties, lors des dernières années. Mais ce soir, dans l’arène de Bucarest, le destin en a décidé autrement. Une frappe un peu molle, une bonne intuition de Sommer et le stade chavire. En une seconde. Dans l’ivresse de la joie côté suisse, dans une immense déception côté français.
Goliath est tombé. Effondrés sur la pelouse, les joueurs français ne peuvent que constater les dégâts. L’explosion de joie de leurs adversaires du soir se ruant vers leur héros du moment qui vient de terrasser les certitudes tricolores en un arrêt. Cruauté pour les uns, bonheur indescriptible pour les autres.
Si j’ai voulu vous raconter ce scénario fou et à l’issue terrible pour nous, Français, c’est parce que rapidement, je me suis rendu compte de la beauté de de match et de la singularité de cette soirée. Dans aucune autre circonstance on ne peut vivre des émotions pareilles. De la confiance à l’angoisse, du soulagement à l’anxiété, de l’espoir à la déception, tout y est passé en à peine plus de deux heures.
Alors oui, la France est éliminée, n’a pas réalisé le match qu’il fallait, M’bappé, comme beaucoup d’autres est critiquable pour sa prestation terne, mais s’arrêter à la pure déception, c’est oublier la soirée d’anthologie qu’on vient de vivre où le scénario s’est écrit au fil des minutes, se réinventant constamment pour nous livrer une fin où la glorieuse incertitude du sport a encore enivré les supporters français et suisses et embrasé les cœurs de tous les fans de foot. Constatons Acceptons la défaite, et gardons en mémoire ces moments de vie si particuliers, les victoires futures n’en seront que plus belles. Et n'oublions pas une chose, le sport, c'est bien.